Made in Chez Moi

L’émergence des mouvements du « do it yourself » (DIY) et des FabLabs annonce un nouvel âge industriel. En effet, la possibilité de création d’un objet potentiellement absolument spécifique au désir de chaque individu vient transcender l’épuisement actuel d’un capitalisme qui s’essouffle à créer de faux-besoins. La production individualisée, ou égocentrique, rend désormais possible la création d’objets que le système industriel ne pouvait prendre en charge du fait des investissements importants à mobiliser pour chacun d’entre eux. Cette barrière est en train d’être levée par la démocratisation d’accès aux moyens de production industriels: usinette, LabFab et autres hackerspaces en forment l’avant-garde.

La démocratisation industrielle – Jokko

La possibilité pour chaque consommateur d’accéder à ce nouvel univers de satisfaction exacte de ses désirs propres est à la fois une opportunité incroyable que commence à aborder les entreprises mais aussi également l’utopie de connecter la production avec l’essence même des besoins humains. On pourra juste regretter que le potentiel corrosif d’une telle révolution, à savoir réconcilier le consommateur avec le producteur (puisque cela devient directement la même personne), n’aille probablement ni dans le sens de plus d’écologie, ni vers plus d’autonomie pour les individus, mais simplement un nouveau puits de consommation pour alimenter une croissance matérielle basés sur des désirs de plus en plus discutables.

Du Capitalisme productiviste au capitalisme égocentrique

Dans la première moitié du XX siècle, ce qui primait était un capitalisme productiviste. Il visait la maximisation de la production pour produire à moindre cout à travers une standardisation poussée de la production. Le modèle emblématique de cette époque c’est la Ford-T, dont la production en série a commencé en 1908.

Les gains de productivité réalisés sur la production de ce modèle, notamment par le travail à la chaine, rendait la voiture abordable au plus grand nombre, au pris d’un travail répétitif et aliénant, comme le rappel le fantastique film de Charlie Chaplin, les Temps modernes.

Les temps modernes – Charlie Chaplin – 1936

La généralisation de cette approche a permis un essor fantastique de la production de masse. Toutefois, l’instabilité du capitalisme productiviste tenait en deux points : la surproduction lorsque l’outil industriel produit plus vite que ce que la demande peut absorber par son pouvoir d’achat et/ou désir d’achat et l’épuisement de la demande dans le cas où l’essentiel des besoins d’un individu est comblé. La crise de 1929 était en cela une crise de surproduction.

Arman – Accumulation Colombienne

L’épuisement de la demande est apparu plus tardivement et les moyens d’y répondre sont apparus petit à petit dans les années 30 aux États-Unis avec la naissance des relations publiques et du marketing. Au final, tout au long de l’après seconde guerre mondiale, l’objectif fut de créer des biens non plus pour satisfaire des besoins, mais de faire naître des besoins pour vendre des biens, levant ainsi la limite de l’épuisement des appétits des consommateurs. C’est dans ce cadre que la publicité a pris une place indispensable dans la continuité de l’essor du capitalisme, en maintenant la demande à des niveaux perpétuels d’insatisfaction artificiels. C’est ce qu’on appelle le capitalisme consumériste.

Capitalisme productiviste et Capitalisme consumériste

La réalisation de soi à travers la consommation

Dans les années 70 émerge une critique assez radicale du capitalisme. Un certain nombre d’individus bizarrement câblés se seraient rendus compte qu’ils étaient sous le coup d’une propagande qui manipulaient leurs désirs afin de leur faire acheter un certain nombre de produits. En partant du principe que chaque individu est différent (où aspirerait à être différent), alors, le fait que le capitalisme essaye de faire passer un objet standardisé comme le désir authentique de chaque individu est bien évidemment une supercherie.

Apple – Think different

Cette critique restera à peu près inopérante et la relation entre consommation et réalisation de soi reste encore aujourd’hui fondamentale et rappelée en permanence. Jacques Séguéla, grand penseur français et publicitaire chevronné (il sait donc de quoi il parle) déclarait:

Quel con ce Séguéla quand même, mais ça reste entre nous

Si à cinquante ans, on n’a pas une Rolex, on a quand même raté sa vie !

raté sa vie !

Ainsi, si réalisation de soi et consommation sont intimement liés, l’objectif logique de la production est de se confondre au plus près possible avec les désirs particuliers de chaque individu. Jusque là, la logique industrielle ne pouvait que ruser vers cet objectif, en produisant une gamme de produits standardisés, dont chaque modèle pouvait être affilié à un nombre limités de « styles de vie » caricaturaux mais suffisamment opérants et proches du plus grand nombre par le truchement du marketing. En quelque sorte, la propagande publicitaire marche par « paquets » de consommateurs.

Tout ceci sera bientôt du passé grâce à la démocratisation des moyens de production. En quelque sorte c’est l’idéal de Marx de « la propriété collective des moyens de production » dont se rapproche le capitalisme égo-centrique. L’avenir a de ces ironies…

L’utopie récupérée

Les représentants de l’avant garde de ce mouvement technophile et utopiques sont paradoxalement plutôt opposés à la marchandisation de cette révolution technologique qui met à portée de tous les moyens de production industriels. Il y a des raisons objectives pour cela. Traditionnellement, les hackers vivent dans un domaine du libre et de la transparence, c’est à dire dans un monde où l’accès à l’information et à la production numérique doit être sans entraves. Le mode d’échange favorisé est celui de la réciprocité. Le hacker donne gratuitement ses compétences et informations et participe à la création collective de richesses dont lui même bénéficiera indirectement. La réciprocité, en tant que mode d’échange, s’oppose assez fondamentalement avec l’échange marchand, parce qu’il n’est pas monétisé et n’a pas en son sein un calcul formel de profit. Encore plus, le mouvement du Hack (bidouille) s’oppose à la tendance naturelle d’une partie du capitalisme qui tente de maintenir une situation de rareté artificielle pour maintenir une rente de situation. André Gorz a très bien analysé cet état nouveau du capitalisme, profondément structuré par des États et des multinationales oligopolistiques, qui met volontairement des barrières contre l’efficacité des échanges numériques en partenariat avec les États auxquelles ces grands groupes sont intimement liés afin de conserver des rentes de situation.

La démocratisation de la production ne représentera aucun accès à plus de liberté et d’autonomie tant que les structures qui encadrent les évolutions technologiques ne seront pas changées. Les luttes actuelles organisées par le Parti Pirate sur la transparence et la levée des sanctions pénales sur l’échange d’information va dans le bon sens. Toutefois, ces quelques avancées libérales ne sont pas suffisantes si elles ne se font pas de paire avec la remise en cause fondamentale des modèles oligarchiques au sein des gouvernements et des principales entreprises mondiales. Vu l’agenda que cela représente…le capitalisme ego-centrique a tout l’espace pour se développer sans trop de heurts dans un avenir proche.

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