Mon Venezuela : La réforme agraire de Chavez

IMG_0475La mort de Chavez est l’occasion pour moi de revenir sur mon voyage au Venezuela pour y étudier sa réforme agraire censée redistribuer la terre, si inégalement répartie dans ces anciennes colonies espagnoles. De cette experience, que penser de Chavez? Héros de la justice sociale, ou ignoble dictateur communiste?

En 2006, je prenais un avion en direction du Venezuela avec une hypothèse iconoclaste en tête. J’avais pris congé de mon école pour pouvoir explorer le monde de manière indépendante. De la France, dans les milieux de gauche dans lesquels je vivais, dans le cercle bolivarien de Paris que j’avais eu l’occasion de rencontrer, on sentait un véritable enthousiasme pour ce socialisme du XXI siècle qui semblait pouvoir se déployer. Dans ces lieux, on y retrouvait des vieux de la vieille, beaucoup de Chiliens qui avaient fui leur pays dans les années 70 et qui avaient vu un autre peuple latino empêcher que l’histoire ne se répète. La palais de Miraflores de Chavez ne rejoindrait pas la Moneda d’Allende. J’avais vu un peuple se lever pour sauver son président d’un coup d’Etat, c’était une chose incroyable et puissante, ça m’avait beaucoup impressionné.

Pourtant à tout enthousiasme, ma nature m’a toujours porté à la méfiance. Un peu comme Rousseau qui disait que « Tel philosophe aime les Tartares, pour être dispensé d’aimer ses voisins« . Facile d’aimer la révolution là-bas dans les caraïbes. Je lisais des articles enflammés sur les réussites des « missions » de Chavez, pour l’alphabétisation, pour l’accès aux biens de consommation de base dans les ranchitos (le nom des bidonvilles au Venezuela). Je lisais Maurice Lemoine du Monde Diplomatique, spécialiste maison sur l’Amérique Latine, s’étendre sur les réussites de la révolution Bolivarienne. J’avais envie de me faire ma propre opinion. Un mission lancée par Chavez, moins médiatique, attira mon attention pour ce projet: la mission Zamora.

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A l’époque, nous étions pas mal d’étudiants de l’Agro Paris à s’enthousiasmer pour Marc Dufumier, un professeur engagé d’obédience néo-marxiste qui avait pris la suite de René Dumont à la chaire d’agriculture comparée de cette grande école. Celui-ci martelait, entre autres, son message politique en faveur de réformes agraires en Amérique Latine, projet auquel je souscris et souscrivais alors tant il était évident que l’appropriation par la force de l’essentiel des terres par les colons espagnols et portugais était un facteur clef des inégalités rampantes sur tout le continent. Cette mission Zamora, du nom d’un leader révolutionnaire Vénézuélien du XIX siècle qui avait pris position contre les latifundios de son époque aux côtés de Simon Bolivar, el libertador, consistait donc en la réalisation d’une réforme agraire.

Je décidais de partir en indépendant, tant mon désir de ne pas me faire influencer dans mon étude était à mes yeux important. Je travaillais quelque mois, à la chaine, acquérant là quelques leçons de vie qui marquèrent mon existence privilégiée, afin de financer l’entièreté de mon voyage. A peu près sans contact locaux, à la Tintin, déboussolé de découvrir que mon idée romantique d’atteindre ce pays par la mer n’était plus cette aventure picaresque et bon marché mais bien plutôt un plaisir hors de prix réservé à des riches qui veulent jouer aux pauvres, je rejoignais Caracas en avion. Le contact avec les inégalités y fut tout sauf inattendu, mais l’horreur urbaine était tout de même impressionante. L’horrible Caracas: une marmite en béton crachant de la fumée et drapée de misère. J’y restais tout de même plusieurs semaines, afin de récolter les informations qui me manquaient, allant d’administrations endormies en bureaux kafkaïen.

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Fuir Caracas – Personnel

Un braquage et une attaque à main armée plus tard j’étais prêt à étudier un ancien latifundio exproprié et redistribué à des paysans sans terre organisés alors en coopérative : El Nude Felix Ribas (du nom d’un révolutionnaire…). Je l’avais choisi en premier car c’était une mission montrée en modèle. Quelques mois plus tôt, Chavez m’y avait devancé en hélicoptère pour y faire une de ses émissions Aló Présidente, la 243ème pour être exact, où pendant des heures un parterre de fonctionnaires et d’invités plus ou moins obligés, portant tous le tee-shirt et la casquette rouge de rigueur, l’avait écouté faire des discours, remercier ceci et cela, aimer son peuple et prendre quelques appels téléphonique pour répondre à telle ou telle question. Ce jour là, à Quebrada Seca, dans l’Etat d’Aragua, il avait donc profité de l’occasion pour faire l’éloge de son programme Zamora. Le nude Felix Ribas avait bénéficié d’une dotation de plusieurs centaines d’hectares de terres et des investissements, cela venait récompenser quatre années de luttes pour obtenir les terres du grand propriétaire local dont le titre de propriété, comme beaucoup en Amérique latine, sentait un peu le souffre. Chavez s’était enflammé et voyait déjà un village s’établir sur ces terres là, bien évidement fertiles.

Une fois arrivé sur place, je déchantais très vite. Un peu moins d’un an après l’intervention de Chavez, la coopérative agricole était au bord de l’explosion. Certes seulement élève ingénieur agronome, je remarquais sans peine l’état peu engageant des quelques cultures de tomates et de haricot qui poussaient. Le tour des cultures que me proposa altièrement le responsable ne fut pas long. Malgré presque cent salariés dans la coopérative, moins de cinq hectares étaient mis en culture et le bâtiment construit par l’Etat avait du être reconstruit suite à un écroulement partiel.

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NUcleo de DEsarollo José Felix Ribas – Photo personnelle

J’assistais à une réunion d’organisation de la coopérative et avec quelques questions je compris très vite l’étendu des échecs. Ca ne marchait pas du tout. Aucun des membres ne s’en cachait, on me parlait sans retenue et il me fut donc aisé de constater la situation. De fait, le statut salarié des membres créait un problème insurmontable. Comme le résultat de la coopérative était collectif, ainsi que la propriété des terres, chaque membre touchait son salaire, quelque soit l’effort fourni et les résultats obtenus sur les parcelles. Certains ne se gênaient donc pas pour y travailler le minimum et utiliser ce temps dégagé pour effectuer d’autres activités, parfois lucratives. Ceux qui voulaient se dédier à la coopérative se sentaient instrumentalisés et criaient sur le pauvre ingénieur responsable qui n’avait aucun pouvoir pour changer quoi que ce soit. Questionné au sujet de cette impuissance, on me fit facilement comprendre que chaque salarié est un soutien pour Chavez, et en renvoyer, c’est en faire de potentiels opposants. Ce que je comprend de mon côté, c’est l’idéal marxiste collectiviste en agriculture qui se répète et échoue de nouveau. J’en ai parlé ailleurs, je n’y reviens pas.

Rapidement, il était évident que cette réforme agraire ci ne fonctionnait pas et ne pourrait pas fonctionner. Je ne pouvais même pas excuser certaines inefficacités liées à la situation économique particulière du Venezuela, comme cette maladie hollandaise qui fait qu’au Venezuela plus qu’ailleurs il est difficile de vivre de l’agriculture. C’est donc surtout le cadre idéologique de la réforme qui était erroné. Comme dans d’autres pays où je travaillerai plus tard, comme le Pérou, il est courant que les réformes agraires inspirées par le marxisme aient été des échecs cuisants.  Je partais de ce pays moins niais et plus renforcé que jamais dans l’idée de garder mon indépendance d’esprit et ma méfiance vis à vis du premier enthousiasme venu.

Huit petits Chavez

Huit petits Chavez – Personnel

Mais doit-on pour autant, sur la base de cette expérience subjective, jeter Chavez dans l’eau du lac de Maracaïbo? Peut-on en conclure que toutes les missions entreprises par Chavez sont des echecs? Je ne le crois pas. Quelques chiffres attestent des améliorations importantes dans les conditions de vie des plus pauvres, de réduction de l’analphabétisme par exemple. De tout cela j’ai gardé une position complexe vis à vis de Chavez, sans culte de la personnalité ni haine, simplement en dialogue ouvert avec ce personnage hors du commun. Sa mort vient me confirmer la quasi impossibilité de penser ce personnage et son héritage politique hors du cadre des passions des uns et des autres. La Chavez-mania des uns renvoie aux procès en dictature des autres. Seul le point de vue du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer présent aux funérailles de Chavez sonne juste à mes oreilles. Il sera justement mis au pilori pour cela.

Le temps de l’histoire n’est pas celui des médias, et l’inventaire des années Chavez sera long tant il a bouleversé ce pays et l’Amérique Latine dans son entier en étant à la fois l’essence et le moteur d’une vision latino-américaine socialiste. Mon modeste travail sur la réforme agraire illustre toutefois les profondes imperfections de la révolution Bolivarienne. La rente pétrolière a permis à Chavez que ses éventuels échecs portent peu à conséquence en terme électoral, d’autant plus que la distribution moins inégalitaire de cette rente lui a garanti une base populaire puissante faite d’intérêts économiques, de fascination messianique et d’authentique amour réciproque entre lui et les plus démunis qui forment le squelette de ce pays. Quoi qu’il en soit, j’ai une dette personnelle envers Chavez, c’est que grâce à lui je connais mieux la rationalité des agriculteurs et que je me méfie des politiques agricoles bureaucratiques. C’est une leçon pour le Venezuela, mais à l’heure de la réforme de la PAC en 2014, surement aussi une leçon pour l’Europe.

8 Commentaires

Classé dans Agriculture, Economie, Politique

8 réponses à “Mon Venezuela : La réforme agraire de Chavez

  1. Vince

    Très bien écrit et super instructif comme toujours !

  2. Merci pour cette analyse. Enfin un témoignage direct, et sans idéologie préconçue.

  3. Je vais pas faire original mais merci pour ce témoignage à la fois engagé et objectif !
    Difficile de se faire un point de vue, comme ça, de loin, avec toutes les conneries que l’on entend dans un sens comme de l’autre. Des témoignages comme celui-ci, sans parti pris et avec un soucis évident d’aller au plus prés de choses, il en manque !

  4. Ce commentaire que je viens de lire donne un nouvel éclairage sur le modèle de développement agricole en place en BOLIVIE sous la présidence de M. CHAVEZ. Ce que le Président CHAVEZ a initié dans son Pays, pour aider les agriculteurs en difficulté, a déjà un mérite indiscutable « celui d’avoir existé », celui d’avoir permis que des commentaires puissent émerger sur ce modèle, et de continuer à se poser des questions.

    • karmai

      En fait, Chavez fut le président du Venezuela et non de la Bolivie. Certes, cette politique a le mérite d’avoir existé. C’est tout de même dommage qu’elle ait répété des erreurs faites des décennies plus tôt au Pérou ou à Cuba par exemple.

  5. Pingback: La lutte des jardins ou le droit à l’autonomie | Jardinons la planète

  6. FaLLaWa

    Bonjour Karmai,

    Votre prose est agréable à lire, Je suis venu faire un tour sur votre blog suite à un commentaire de votre part sur Contrepoints.org sur l’article « Francais préparez-vous au pire ».
    Vous avez bien refuté par l’exemple la collectivisation des terres et comment cela créé une situation économique s’opposant à la nature humaine (qui est le léger défaut du collectivisme).

    Votre article illustre superbement à quel point certains médias/personnes peuvent renvoyer une image fausse d’une situation dans un pays lointain, que ce soit par idéologie ou bien par manque de recherche et de professionalisme.

    Où l’on se rend compte à quel point rien n’est blanc, rien n’est noir…

    Quelle est la meilleure situation entre un système qui permet à tous de toucher le meme salaire en fournissant un travail inégal et en ouvrant la porte à la paresse ou au profitage des uns sur le dos des autres ou bien un système qui rémunère les plus travailleurs en fonction de leur mérite et laisse sur le carreau les paresseux et les faibles (qui peuvent néanmoins être aidés par des associations/arrangements spontanément mis au point) ? En présentant les choses de cette manière, il semble évident que c’est le second système qui est le plus juste non?

    Mais comme dit plus haut rien n’est blanc rien n’est noir, et même le second système fera des malheureux, pas seulement les paresseux ou ceux qui penchent naturellement vers le profitage mais ceux qui malgré tous leurs efforts, en raison de leurs facultés moindres (on naît tous inégaux en force/intelligence/talent etc sur cette Terre) ne peuvent assurer une forte productivité qui les ferait bien vivre et ont du mal à joindre les deux bouts.

    Le socialiste/collectiviste du café du coin/de la réunion de famille vous citera toujours des exemples de laissés pour compte, balayant d’un revers de la main le petit detail que les racines de son idéologie sont immorales et injustes pour les plus méritants (cf la fameuse métaphore du lit de Procustre). Si vous l’attaquez sur les valeurs – la liberté de jouir des fruits de son travail etc – vous déplacez le débat sur un terrain défavorable au socialiste qui essayera de redéplacer le débat sur son terrain à nouveau ou il pourra vous accuser d’être sans coeur.

    Bon je me suis un peu emporté, mais ça fait du bien de raisonner un peu par écrit et de reformuler soi-même ce qu’on comprend et assimile mieux au travers de ses nombreuses lectures. J’espère que vous ne m’en voudrez pas 🙂

    Quoi qu’il en soit, autant la pensée de Marx semble inadaptée à notre époque car ne prenant pas en compte le secteur tertiaire aujourd’hui ultra dominant (même dans l’industrie) comme vous le faite remarquer (je me fie à votre lecture car je confesse que je n’ai pas encore lu Le Capital…) autant la pensée de Bastiat bien qu’ancrée elle aussi au XIXe semble intemporelle. C’est normal il parlait de valeurs comme la liberté, la propriéte et la justice !

    A bientôt sur votre blog !

    Arthur

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