Faut-il manger du Quinoa Bolivien? ou les mystères des fausses représentations.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAComment rendre plus durable la culture du Quinoa? Quand je suis parti évaluer ce problème, la non-durabilité était une évidence, à mon retour j’avais démontré l’inverse. Ce n’était visiblement pas l’objectif de ceux qui m’y avaient envoyés et on enterra donc mon travail. Je découvrais à mes dépends que les effets de systèmes peuvent être particulièrement dévastateurs et faire persévérer durablement dans l’erreur.

Par un heureux hasard, à l’été 2011, j’étais envoyé par Max Havelaar France en Amérique Latine afin d’étudier, entre autres, le problème de la durabilité du Quinoa dans les Andes. Depuis déjà quelques années, les médias s’étaient fait l’écho sombre d’un succès alimentaire : l’arrivée dans l’assiette occidentale de la « graine des incas », originale et saine, avait provoqué en peu d’année un « boom » de production. C’est tout le système rural traditionnel qui en avait été bouleversé. Le succès économique semblait mal cacher les dérives productivistes d’un tel succès : la crise de fertilité était telle que l’ONG Agronome et Vétérinaire Sans Frontières (AVSF) annonçait des pertes de rendements de presque 20% en 20 ans dans l’Altiplano Bolivien, la principale zone de production du Quinoa.

Ce bilan inquiétant s’établissait sur plusieurs observations de terrain. Tout d’abord et pour résumer, sur l’Altiplano Bolivien, le système agricole traditionnel consistait en une complémentarité entre les cultures, faites sur les « montagnes », et d’élevages de lamas sur les plaines. Le Quinoa, cultivé avec des outils manuels sur de faibles surfaces, était fertilisé par le caca des lamas. L’essor de cette chénopodiacée comme culture de rente (et non plus d’auto-subsistance) s’est toutefois construit sur un bouleversement de ce modèle. La graine de l’altiplano, dont le prix est plus rémunérateur que celui des produits du lamas a vu dans les régions qui le pouvaient, un renversement de l’organisation du paysage. Les cultures de Quinoa se sont retrouvées dans les plaines, et les lamas dans les espaces restant (montagne et autres). Le déclin de l’élevage de lamas marque également le déclin local de la production d’excréments qui servaient à fertiliser le Quinoa, d’où une part non négligeable de la crise de fertilité, et surtout une faible durabilité de ce système.

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Quand lama veut fertiliser, lui toujours faire ainsi…

Ainsi alerté de ces problèmes, j’arrivais en Bolivie, dans la zone de l’Altiplano Bolivien, persuadé de devoir travailler d’arrache pied pour tenter par le truchement des cahiers des charges et des prix du commerce équitable de corriger cette situation au mieux de mes moyens. Mais la surprise fut grande de constater que de crise de fertilité il n’y avait tout simplement pas. Les excréments de lamas continuaient à fertiliser le Quinoa par des transferts de régions d’élevages vers les zones de Quinoa et, de chutes de rendements par surexploitation il n’y avait pas non plus.

Tout n’était pas parfait bien sur, mais l’amélioration des conditions de vie dans la région par l’essor du Quinoa ne semblait pas se dérouler sur les bases d’un système agricole voué à l’échec sur le plan écologique. Malgré mon rapport qui démontre qu’il n’y avait pas de problème à résoudre sur ce point, il fut tout de même décidé d’appliquer des mesures pour y remédier…

Des représentations

Ce qui est étrange dans cette situation, c’est le fait de constater que la justification scientifique n’est pas pertinente. Ma démonstration du moment (suivi d’un article scientifique tout aussi impuissant à renverser la vapeur) rentrait en contradiction avec un système d’aide au développement qui a besoin qu’il existe un problème.  En effet, sans problème, pas d’argent pour le résoudre. La question de la réalité objective n’était qu’annexe car je ne me situais non pas dans la zone de l’argumentation et de la justification, mais bien dans celle de l’idéologie. Au niveau individuel, certains acteurs des organisations qui soutenaient pourtant l’existence du problème me révélaient partager mon scepticisme, mais cela n’y faisait rien, l’institution dans son ensemble ne pouvait pas accepter la vérité. La déroute de tant d’énergie passé à résoudre un faux problème, le besoin d’un problème pour attirer des fonds internationaux, les alliances de pouvoir faisaient que la vérité ne pouvait pas être dévoilée.

La psychologie sociale a depuis longtemps montré les aberrations organisationnelles qui aboutissent à des situations grotesques, comme la célèbre Expérience de Asch. Par conformisme, l’humain est amené à se mentir à lui même ou à ne pas révéler ce qu’il pense au fond de lui-même. Appliqué à l’échelle d’un système entier, les conséquences sont parfois étonnantes, comme la croyance parmi beaucoup de mangeurs de Quinoa, que cette culture n’est pas durable.

Dans notre monde fortement médiatisé, et fortement complexe, les possibilité de telles erreurs me semblent très grandes. En effet, la plupart des médias diffusent des informations marginalement différentes et mobilisent finalement peu le champ de la justification et de l’argumentation au profit de la force de l’image et du discours, beaucoup plus aptes à capter les attentions des spectateurs (voir aussi l’article précédent). Encore plus, la complexité du monde nous rend moins sûr de notre propre vision du monde et donc plus enclin à suivre un avis majoritaire qui semble convaincu à son sujet. Cette Doxa a malheureusement la fâcheuse tendance à être simpliste puisque c’est cette qualité même qui la rend justement attractive face à une complexité difficilement abordable sans un effort intellectuel important.

L’expérience de Asch démontre également que la voie dissonante d’un complice est nécessaire pour oser affirmer une différence. C’est je l’espère ce que vous trouvez dans les lignes de mon blog et que je m’évertue à vous présenter article après article : un point de vue qui se veut argumenté et justifié pour tenter d’y voir un peu plus clair dans ce monde complexe qui nous entoure. Grâce à celui-ci, j’espère que vous ne mangerez plus du Quinoa avec le même regard. Je vous souhaite même un bon appétit.

Plus de détails? L’étude complète.

2 Commentaires

Classé dans Agriculture, Alimentation, Economie

2 réponses à “Faut-il manger du Quinoa Bolivien? ou les mystères des fausses représentations.

  1. Rahane

    aujourd’hui on fait des ronds points là où il n’y a réellement aucun besoin juste parce qu’il faut faire des ronds points
    le réel besoin n’est pas au niveau de la circulation routière mais au niveau de la circulation de l’argent et de la recherche d’une masse toujours plus grande
    le réel est l’otage de la finance
    on dit n’importe quoi pourvu que cela complexifie les choses pour créer de fausses activités en terme de reels objectifs ou efficacité
    nous avons perdu le sens du concrêt
    les ères de décadences se signalent souvent par la débauche et le gaspillage du temps des ressources et des énergies dans des activités sans nécessité aucune
    le système ne saurait vivre à l’arrêt ou la modération parce que le crédit ( qui permet de créer toujours plus de masse financière) à supplanté la réalisation des projets sur l’épargne

    cela vaut dans tous les domaines jusqu’à l’apogée:
    la destruction vaut mieux que la préservation parce qu’elle permet de reconstruire à neuf n’importe quoi même de pas obsolète
    la big destruction étant celle du chaos par la destruction absurde à l’aveugle
    notre époque est en train de chercher des leviers pour engager toujours plus de destruction car à l’instar des emplois qui disparaissent parce que ça rapporte plus désormais le réel ne pourra jamais rapporter autant de profits que la destruction.

    tant qu’on ne prendra pas en compte le prix ( infini) des destructions irréversibles de ressources non renouvelables , nous continuerons sur cette voie suicidaire
    actuellement l’ensemble de l’économie humaine de toute la planète est en augmentation constante de déficit de renouvellement.
    de façon exponentielle

    la question est le prix auquel on vend la quinoa par rapport au cout du transport pour sa commercialisation mondiale.
    prix qui ne permet pas les retombées qui devraient avoir lieu en bolivie pour coupler les investissements dans l’agriculture bolivienne à des solutions pour envisager un avenir plus pauvre en eau compte tenu de la fonte des glaciers.

  2. Pingback: Quinoa aux petits légumes comme un risotto | l'atelier de boljo

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