De l’écologie monétaire

Il en va des monnaies comme des espèces vivantes, il y a une richesse réelle dans la diversité. A ce titre s’expérimente de part le monde de nouvelles monnaies valides uniquement à l’échelon local (SEL) afin de promouvoir des valeurs différentes, faites de solidarité et d’humanisme. La création monétaire ex nihilo ouvre un champ révolutionnaire nouveau qui pourrait éroder la mystique monothéiste des monnaies qui trônent en petit nombre sur la planète en les confrontant simplement à la compétition. Aurons nous d’ici quelques années des dizaines de monnaies dans nos portefeuilles?

Un SEL c’est quoi?

Dans les milieux écologistes et altermondialistes une idée intéressante a émergé ces dernières années, celle des monnaies locales ou plus génériquement SEL (Système d’Echange Local). Le principe est simple bien que déroutant les habitudes. Une communauté décide de « frapper » une nouvelle monnaie afin de stimuler les échanges de biens et de services entre ses différents membres.

Cette nouvelle monnaie, quand elle fonctionne, stimule particulièrement les liens entre ses membres, créant ainsi de la convivialité par l’échange de biens et de services. De plus, elle est fondamentalement (par son nom même) tournée vers l’économie de proximité, ce qui dans ces temps où il est de bon ton d’acheter local, à la ferme, etc, une plus-value certaine. Elles sont aussi souvent (même si ce n’est pas toujours spécifié) absentes d’intérets, les prets n’existant pas le plus souvent. Pour en savoir plus, une introduction aux monnaies locales en vidéo ici.

Ainsi le SEL est pour beaucoup une arme puissante de réappropriation de l’économie par les citoyens, une alternative essentielle asséchant les monnaies majeures (Dollar, Euro, etc) porteuses de valeurs souvent jugées négativement (mondialisation, dette, intérets, etc), et enfin aussi une nouvelle source de revenus dans ces temps de crise.

La théorie des SELs

Derrière une monnaie locale, il y a en fait une sorte de « cahier des charges » plus ou moins tacite entre tous les membres qui définit une réponse particulière aux grandes questions autour de la création monétaire. Comment et qui crée la monnaie?  Comment équilibrer entre créditeurs et débiteurs? Quelle est la valeur de cette monnaie? Quelles sont les valeurs portées par cette monnaie?

Il y a de nombreuses réponses différentes. Certain créeront de manière centralisée la nouvelle monnaie lors de l’inscription d’un nouveau membre, d’autres le feront de façon décentralisée. Certains laissent les débiteurs nets tranquilles, d’autres mettent en place des systèmes de compensation ou des stimulations à renflouer leur compte. En général de nombreux modes opératoires vont se décider en fonction des communautés. Arrêtons nous sur un point problématique pour l’illustrer cette diversité de réponse, celui de la valeur de cette monnaie.

Quelle valeur a la monnaie d’un SEL?

La croyance populaire veut que l’argent ait une valeur et que celle-ci soit plus ou moins certaine, ou que tout du moins les institutions qui le gèrent la garantisse au cours du temps en évitant, par exemple, sa dégradation par l’inflation. A ce titre la pensée classique (Ricardo, Marx) stipule que la valeur réside dans la quantité de travail inclus dans un objet, c’est à dire le nombre d’heures nécessaires à la fabrication d’une chaussure, la réalisation d’une séance de kiné ou la manufacture d’un lingot d’or. Apres tout, « le temps c’est de l’argent » non? C’est à ce titre que la communauté d’Ithaca dans l’Etat de New York fait référence sur ses billets à un nombre d’heures, comme référence de la valeur. Ainsi on échange symboliquement des minutes de turbin.


Un Huitième d’heure – Monnaie Locale d’Ithaca

Cette vision de la valeur a depuis été largement contredite par l’approche néo-classique, pour qui il n’existe pas de valeur en soi de la monnaie, mais simplement une demande et une offre de monnaie. Ainsi, si on distribuait des euros dans la rue en grande quantité, celui-ci perdrait toute valeur du jour au lendemain. C’est donc bien la demande d’argent, face à l’offre limitée qui fait son attrait et donc sa valeur. Pour résumer, ce serait donc la somme des échanges de tous les acteurs qui achètent et vendent cette monnaie qui en fixerait la valeur, par nature donc fluctuante. Ainsi, exit le temps de travail comme fondement de la valeur devant la différence de valeur d’une heure de travail de Picasso et celle du premier intérimaire.


Evolution de la valeur monétaire du Dollar de 1775 à 2010 – DollarDaze.org

Si cette dernière vision de la valeur est probablement moins fausse, elle n’en est pour autant pas plus vraie et la nature de la valeur reste profondément subjective. Comme le montre cette ardue mais excellente conférence de l’économiste Frédéric Lordon, la valeur est en fait fondamentalement une croyance. Et finalement, en tant que telle, elle est profondément relative et donc potentiellement variée. Il est donc possible d’incarner la valeur monétaire de contenus extrêmement bigarrés, la seule limite semblant alors l’imagination de ceux qui veulent la définir.


Laura Gilbert – Zero dollar

A titre d’illustration, le billet de zero dollar, créé par cette artiste est création qui contient une contradiction flagrante entre une valeur monétaire a priori visible (zero) et pourtant un objet qui se vendra quelques milliers de dollars dans une galerie d’art, véritable ourobouros fiduciaire, un dilemme à rendre fou mais qui montre bien la nature éthérée et un peu fumeuse de la valeur comme certitude. Ici, c’est surtout la valeur esthétique et conceptuelle qui donnera le prix de cet objet, puis le jeu de l’offre et de la demande (il n’est créé qu’en 10000 exemplaires) et finalement pas ou peu le travail fournit par l’artiste.

L’ingénierie monétaire

Pourquoi ce détour sur la valeur alors? Et bien pour démontrer qu’en matière de création monétaire, le contenu normatif des monnaies est absolument infini! On peut donc définir la ou les valeur(s) que l’on veut, et élaborer un cahier des charges aussi exotique que l’imagination humaine peut permettre.

A ce titre, bien que peu connue, la création monétaire jouit d’une très grande richesse et diversité. On peut citer le « Global » un projet de monnaie mondiale, le WIR une monnaie interne à la banque suisse éponyme qui existe depuis les années 30, le DeliDolar valide pour payer des repas dans un restaurant qui ne pouvait sinon pas obtenir de pret, l’Ithaca Hour dans l’état de New York, les grains de Sels en France déclinés en « truffe », « sourire », « chataigne », etc. Une petite galerie pour illustrer toute la diversité (et la beauté pour certains) de cette ingénierie monétaire:

La rupture d’un monopole divin

Philosophiquement, la rupture est plus profonde que l’on ne croit. La monnaie a rapport au divin. Chez les Incas par exemple, l’or n’avait pas de valeur monétaire, car il était strictement affilié au divin, au soleil source de toute vie. De même dans de nombreuses religions les ornements dorés étaient gardés en priorité pour les effets divins (autel des chrétiens, Ka des égyptiens, etc). L’or a imposé son éclat et ses lumières pendant des siècles. A l’époque des mercantilistes plus intéressé par la richesse sous sa forme d’or, alors que la chrématistique est de moins en moins jugée négativement, les rois Européens avides du métal jaune iront jusqu’à piller en masse le nouveau monde pour l’Or et Dieu, en réalité deux choses assez semblables rétrospectivement.

Masque du Dieu soleil – Culture Tumaco Tolita (Pacifique Equatorienne) – 300 av JC/ 300 ap JC

Soleil, Dieu, Or, une trilogie du pouvoir absolu qui se retrouve à travers l’histoire de la puissance chez les êtres Humains. Le flamboyant masque ci-dessus par exemple, après avoir représenté le dieu suprême sur deux îles Equatoriennes (Tumaco et Tolita) sert de symbole pour…la banque centrale de ce pays.

Ainsi, monothéisme oblige pour plus de la moitié de l’humanité, et particulièrement à travers la domination mondiale de l’occident chrétien pendant plus de cinq siècles, la puissance divine comme la puissance monétaire est unique et ne tolère pas de compétition.

L’adoration du veau d’or – Nicolas Poussin – 1633-1634 (ça se finit mal, Jéhovah n’aime pas la compet’)

Avec la renaissance, la monnaie quitte petit à petit ses atours divins pour devenir un instrument rationnel de l’économie. Son affiliation au divin est de plus en plus mécaniste et « positive ». Dieu n’intervient alors qu’en cela qu’il est le garant d’un univers organisé, il n’est plus en tant que tel une force agissante au quotidien sur les affaires et les destinées humaines. Descartes, appel ce Dieu le « Grand horloger », pour signifier sa croyance dans un Dieu lointain, « simple » créateur des lois physiques rationelles. Voltaire sera sensiblement du même avis sur cette question.

« L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »
Voltaire – Les cabales – 1772

C’est l’émergence des lumières, dont Descartes est un des précurseurs et Voltaire un fin représentant, qui rendra possible cet éloignement de Dieu vis à vis des préoccupations terrestres. A ce titre, beaucoup de grands penseurs de cette époque s’organisent en loges maçonniques, regroupant des intellectuels influents qui promeuvent cette nouvelle rationalité. L’essor de l’économie moderne, notablement plus productive leur devra beaucoup. Symbole de cet héritage, le dollar américain dispose encore de nos jours un sceau qui fait ouvertement référence à la franc maçonnerie des Etats-Unis (dont les pères fondateurs étaient souvent des membres).

Le sceau du Dollar Américain – Ajouté en 1935 par T.Roosevelt

Ce sceau est très intéressant car il représente un triangle sommital qui est le Dieu omniscient qui « approuve ce qui est entrepris » (Annuit Coeptis), c’est à dire qu’il adoube le reste de la pyramide, dont le premier étage est marqué de l’année de l’indépendance (monétaire et politique) des Etats-unis de 1776. La construction des autres étages est clairement laissée aux Américains puisque séparés de l’oeil de la providence. La construction pyramidale (l’entreprise/Coeptis) étant dirigée vers Dieu, la révolution et l’indépendance des Américains est donc fondamentalement faite pour durer des siècles (Novus ordo seclurum), sous son patronage bienveillant.

A ce titre, la monnaie locale d’Ithaca, l' »Hour » est assez symptomatique puisque le traditionnel « in God we trust » (Nous croyons en Dieu) indiqué sur les pièces et billets américains a été substitué par « In Ithaca we trust » (nous croyons en Ithaca), preuve que la légitimité d’une monnaie peut prendre des atours bien différents, et surtout plus réels, comme la croyance dans les liens d’une communauté par exemple.

L’humanisme accompli grâce au relativisme

Michael Light – 1958 – Bombe A

Paroxysme prométhéen d’un occident dominateur, la bombe atomique et sa généralisation pendant la guerre froide a fait passer l’humanité toute entière tout prêt de l’auto-anihilation. Ainsi, Dieu bienveillant nous aurait laisser divaguer vers le meurtre total? Il était clair que ni les religions, ni les grandes idéologies (capitalisme, communisme, nazisme,…) ne pouvaient contenir en elles-mêmes la vérité qu’elles prétendaient avoir. La chute du mur de Berlin scella définitivement ce constat relativiste. L’effondrement des idéologies vit l’essor de  la pensée libérale où les croyances, qu’elles soient politiques ou religieuses doivent être retranchée en chacun de nous. C’est ainsi que très souvent dans nos sociétés le moindre prosélytisme non libéral est entaché d’une erreur fondamentale condamnable, celle de tenter de dire le bien au nom des autres.

En parallèle du déclin des grandes idéologies, ce relativisme libéral a érodé au XX siècle les religions également. La France est à ce titre le grand champion de l’athéisme avec une personne sur trois qui ne croit dans aucune forme de divinité, d’esprit ou de force supérieure. Des lors, l’Homme est laissé seul face à l’univers, dont le sens est absolument inaccessible. L’angoisse d’un tel vide, la « mort de Dieu » pour reprendre les mots de Nietzsche, est aussi l’émergence d’une liberté créatrice potentiellement gigantesque.

Mais alors, dit Alice, si le monde n’a aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un?

Lewis Carrol – Alice au pays des merveilles

La diversité des monnaies est à l’économie ce que la biodiversité est à l’écologie, un gage de bonne santé

Ainsi, comme le stipule la pensée libérale en économie, tout monopole est fondamentalement moins efficace qu’un marché où de nombreux acteurs interagiraient. En effet, il est prouvé qu’en cas de monopole sur un marché, alors les risques de manipulation du marché en vue de l’obtention d’une rente de situation est presque systématique. A ce titre, la plupart des pays se dotent de lois contre les monopoles, les concentrations sectorielles et leurs abus.

Toutefois, le monopole sur la monnaie au sein des nations et le quasi monopole de quelques monnaies sur la scène internationale semble peu émouvoir et stimuler une libéralisation de ce marché. En effet, il semble être accepté comme un évidence qu’à une nation donnée ou groupe de nations corresponde une et une seule monnaie. Aux Américains le Dollar, aux Européens l’Euro, aux Indiens la Rupee, etc.

C’est une réalité peu connue qu’aux premiers temps des Etats-unis d’Amrique, plus de 7000 billets différents étaient en circulation avant d’être unifiés par une banque centrale! Ainsi, l’idée d’un territoire qui disposerait de nombreuses monnaies différentes est tout à fait réaliste et est parfois déjà une réalité, comme en Argentine par exemple, où se cotoient dans la même économie le « creditos » né en réaction à la crise financière avec le traditionnel « peso ».

5 Creditos Argentin

Que la diversité monétaire soit!

Wikipédia, comme Facebook, ont permis de se rendre compte, que cela soit pour créer la plus grande encyclopédie de tous les temps ou pour rendre possible parfois des révolutions, de la puissance des réseaux et du phénomène participatif décentralisé. A ce titre, en 2003 avait été tenté la création d’une WikiMoney, mais elle ne fut pas couronnée de succès.

A sa suite, certains acteurs du monde numérique cherchent déjà à rendre possible et plus facile la création monétaire. C’est par exemple le projet de Jean-François Noubel, co fondateur de la filiale AOL-France au début de l’ère internet, comme il l’explique dans cette ludique conférence TEDx.

Jean-François Noubel – Les monnaies libres – Après l’argent

On trouve également d’autres projets, peut-être encore plus ambitieux qui je l’espère verront le jour. Comme par exemple le projet « MetaCurrency » (MetaDevise) qui cherche à créer des monnaies internationales porteuses de plus de démocratie et de transparence dans les échanges commerciaux en venant se mettre en compétition avec le Dollar, l’Euro, le Yen ou le Yuan.

Le future de la monnaie: la néo-monétarisation

L’avenir des échanges sera peut-être celui de la création monétaire, la néo-monétarisation. Un peu comme la bulle internet, nous verrions une « bulle néo-monétaire » faire émerger des milliers de monnaies aux contenus les plus divers mais aux potentiels incroyablement divers. Après cette crise, ce serait un monde plus stabilisé où les meilleures monnaies, celles qui auraient survécu se partageraient différentes niches de marché. Les citoyens auraient alors le choix entre plusieurs monnaies au quotidien en fonction de leurs préférences de mode d’échange. Le Colibri pour récupérer un panier paysan bio, des HermesTraveler’s pour financer un voyage compensé Carbone, des Euros pour payer ses impôts et des Muziko pour récompenser ses artistes préférés.

Paradoxalement, les porteurs des monnaies locales risquent bien d’être les idiots utiles d’un anarcho-capitalisme triomphant. En effet, elles contiennent des normes bienfaisantes (écologie, localisme, lien social, absence d’usure, réciprocité, etc), et les porteurs de ces monnaies sont souvent les premiers à critiquer l’ordre libéral du monde. Par exemple, la relocalisation s’oppose régulièrement à la mondialisation qu’on impute à la libéralisation des échanges, à la dérégularisation financière, au replis régalien des Etats, etc. A ce titre, ils sont souvent les ardents défenseurs d’un retour des biens communs dans le giron public de l’Etat, du protectionnisme et pour la régularisation de la finance. Or, force est de constater que ces monnaies locales jouent très en faveur d’un monde libéral, économiquement et socialement. En effet, à la fois en brisant le monopole des monnaies étatiques d’un coté comme nous l’avons vu, mais aussi en promouvant des systèmes d’échanges qui demandent une grande flexibilité du travail et une absence totale de participation aux frais des services publics ils participent au détricotage des avantages sociaux acquis dans le giron d’un Etat-providence social démocrate.

Ainsi on pourrait se demander pour conclure, comme dans d’autres secteurs alternatifs par le passé, si ces monnaies différentes pourront résister à l’incroyable pouvoir de récupération du capitalisme. En attendant d’en avoir la réponse, il y a du bon temps à passer avec un SEL sans prétention, mais c’est mieux d’être prévenu avant de se faire récupérer 🙂

9 Commentaires

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9 réponses à “De l’écologie monétaire

  1. Très bon article, bravo !

     » La diversité des monnaies est à l’économie ce que la biodiversité est à l’écologie, un gage de bonne santé
    Ainsi, comme le stipule la pensée libérale en économie, tout monopole est fondamentalement moins efficace qu’un marché où de nombreux acteurs interagiraient.  »
    Exactement ! Et en agronomie, toute monoculture est forcément moins efficace qu’une polyculture associée.

    Concernant les SELs, il me semble qu’ils resteront malheureusement condamnés à n’être qu’utilisés de manière minoritaire, tant que l’intégralité de la chaine de production, depuis l’ensemble des matières premières, ne sera pas échangée avec cette même monnaie : en attendant, les coûts de production seront en monnaie officielle, alors que les gains seront en grains de sel, ce qui empêchera de financer les coûts de production. (et comme certains coûts de production seront toujours en monnaie officielle (à commencer par les impôts), alors ces échanges seront toujours minoritaires.
    Mais bon, il existe tout un tas d’autres initiatives monétaires, et je suis certain qu’avec un bon mélange de tout ça, on arrivera à trouver la solution parfaite ^^.

    Le dernier point abordé m’interpelle d’avantage :
     » force est de constater que ces monnaies locales jouent très en faveur d’un monde libéral, économiquement et socialement. En effet, à la fois en brisant le monopole des monnaies étatiques d’un coté comme nous l’avons vu, mais aussi en promouvant des systèmes d’échanges qui demandent une grande flexibilité du travail et une absence totale de participation aux frais des services publics ils participent au détricotage des avantages sociaux acquis dans le giron d’un Etat-providence social démocrate. »
    Tout d’abord ce n’est pas grave, car en même temps elles permettront sans doute l’émergence d’une diversité de nouvelles formes de solidarités et d’assurances mutuelles, qui pourront sans souci se substituer à la solidarité de l’état-providence. Mais aussi et surtout, ce n’est pas un problème de « récupération » capitaliste : les anarcho-capitalistes ont finalement la même vision que vous et moi, à propos du fait que « tout monopole est fondamentalement moins efficace qu’un marché où de nombreux acteurs interagiraient » ; ils ajoutent juste à cela – et l’argument me semble imparable – que le seul vrai monopole actuel est celui, politique, et parfois même économique, de l’état, ne serait-ce que par son insurpassable capacité à réguler l’économie, voire à en planifier certaines activités. Même si certains anarcaps voudraient bien substituer aux activités monopolisées de l’état leurs juteuses activités privées, en réalité ils savent que c’est surtout la diversité qui serait de rigueur, et que rien n’empêcherait les individus d’y substituer plutôt des activités basées sur la coopération, la mutualisation, la convivialité, la relocalisation, etc., ni à ces activités d’être d’avantage compétitives que des activités de gain individuel.
    Bref, nous avons tout à gagner à la création monétaire collective, et aucune peur à avoir. Quand on laboure, on pense que si on arrête de le faire, on ne va plus pouvoir contrôler la prolifération des adventices, et en fait, lorsqu’on arrête, on s’aperçoit finalement que c’est ce labour qui nous obligeait constamment à lutter contre ces adventices. Quand on arrête de labourer, les différentes populations s’équilibrent, et les plantes cultivées bénéficient encore plus de cette diversité équilibrée au sein de laquelle elles évoluent. C’est la même chose avec le « détricotage » de l’état : c’est juste un verrou mental qu’il convient de faire sauter. 😉

    • karmai

      Merci pour le compliment. Sinon, une courte réaction, ce n’est effectivement pas grave du tout. Je me faisais simplement l’écho de ce drôle de paradoxe que pas mal de gens qui pourraient se définir comme anti-libéraux sont de temps en temps acteur de SELs en pensant aller contre la logique libérale…

      Sinon, je partage ton optimisme sur le mieux-être qu’amènerait des solidarités qui ne passeraient pas par l’état. Je signe pour cela tout de suite également 🙂

  2. Intéressant, en effet.

    J’ai participé de mon côté à la création d’un SEL, et je mène (tranquillement) une réflexion sur le fonctionnement d’une économie où la valeur de la monnaie serait explicitement indexée sur le temps de travail (à la place d’un étalon-or), et où le taux horaire serait plat (1 heure d’avocat d’affaires = 1 heure de ménage). Il y a quelques effets de bord intéressants, en particulier que les forces de marché conduisent les individus ou les groupes ‘performants’ à rechercher la qualité de travail une fois qu’ils arrivent au taquet de la quantité de travail : conditions de travail, intérêt et diversité des tâches confiées, etc. Reste à savoir si dans ce système il ne resterait pas des tâches orphelines (éventuellement super-qualifiées mais super-chiantes) que personne ne voudrait assumer.

    Quant au fait que le SEL s’affranchit de la contribution solidaire, je pense que c’est facilement remédiable. Dans notre SEL on a déjà mis en place une cotisation annuelle moitié en euros (5€) et moitié en ‘poignées de mains’ (pour une demi-heure de travail), ce qui revient à dire que chacun ‘doit’ une demi-heure de son temps à des projets collectifs que l’association mettra en place, précurseur d’un impôt plat qui répond au taux horaire plat.

    Dans une économie à taux horaire plat (et monnaie indexée sur le temps de travail), on pourrait s’acquitter de ses impôts soit en espèces sonnantes, soit en corvées, à concurrence de X heures par an, quel que soit son revenu, ce qui permet d’élargir considérablement l’assise de l’impôt.

    Je continue à réfléchir, et on en rediscute (mais si tu as de bonnes idées ou de bonnes critiques, je suis preneur).

    • karmai

      Ton modèle c’est celui d’Ithaca et de l’équivalence travail/valeur. C’est une des monnaies qui fonctionne le mieux apparemment. Lors d’une réunion sur les monnaies locales à Rennes, il y a avait une personne d’un SEL qui disait que rapidement par contre certains métiers se désengageaient. Elle parlait des psychologues notamment. Apparemment pour certaines personnes, il subsiste une valeur liée à leur travail qui n’est pas valorisée suffisamment par le simple temps passé à faire ce travail. Apres on peut dire que c’est l’habitude d’une différence de statut qui rend inacceptable pour certain de comparer une heure de ménage avec une heure de séance de psy. On peut en effet vouloir de pas hiérarchiser les emplois en les supposant tous mutuellement nécessaires, et donc égaux.

      Quant à la contribution solidaire, mon point de vue n’est pas forcement qu’il faille le sauver 🙂 Mais il y a alors quelque chose à (ré)-inventer. Encore une fois sur ce thème, c’est surtout une affaire de croyance. Si on prend le cas des retraites par exemple. Dans certains pays, on met ses espoirs dans ses enfants, dans leur capacités à s’occuper de leurs parents une fois ceux-ci âgés. Nous c’est plutôt dans l’Etat providence. Dans ton système, ce serait dans la mutualisation librement associée. Finalement, il n’y a pas de réponse toute faite, il faut juste que les membres y croient et qu’on satisfasse la condition de liberté (ne pas être forcé d’y rentrer).

      Sinon, l’idée de rétablir la corvée pour payer ses impôts ne risque pas de motiver les foules 😉

      • Si le mot ‘corvée’ ne plait pas, on peut remplacer ça par ‘chantiers pour la collectivité’. Si je suis chômeur, je préfère aller débroussailler pendant 30 heures avec des potes que devoir débourser 300€ pour mes impôts locaux. Si je suis avocat (et que j’adore mon boulot), je préférerai peut-être faire 30 heures sup pour m’acquitter de ma contribution (avec laquelle on rémunèrera le cantonnier-contremaître qui encadrera lesdits chômeurs). Je sais, ça ne fait pas très sexy dit comme ça, mais je pense qu’il y a quelque chose à en tirer…

  3. Sarah

    j’adore le look des petits bonhommes de l’illustration mouvante 🙂
    Sinon ton blog est intéressant et bien écrit, c’est agréable.

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