Les incroyables jardiniers des collines du Burundi

Le Burundi est une terre inconnue, l’improbable point de rencontres des ultimes voyageurs parcourant l’Afrique à la recherche de la source du Nil. Bordée à l’ouest par le Lac Tanganyka, gardée par les crocodiles et les hippopotames, cette terre connue pour ses Tambours annonçant les semailles de Sorgho abrite une nation entière d’habiles Jardiniers.

Les tambourinaires du Burundi – Bruno De Hogues

Le long des siècles ils ont patiemment travaillé jusqu’à mettre en place un systeme agricole unique dans ce pays aux innombrables collines (Umusozi).

Une nation d’agriculteurs

Le Burundi est un des plus petits pays d’Afrique dont, chose suffisement rare pour être notée, les frontières sont celles d’une royauté Africaine fruit d’une histoire indépendante du colonisateur, Allemand tout d’abord puis Belge après le traité de Versailles de 1919 qui imposa à l’Allemagne la fin de son aspiration impériale. Situé au cœur de l’Afrique dans la région des grands lacs, au Sud de son jumeau le Rwanda le pays aux milles collines, le Burundi jouit d’un climat équatorial avec une longue saison pluvieuse de Septembre à Mai puis une courte saison sèche en été. Ce climat humide (1500 mm de pluie) permet des cultures agricoles en continu, ce qui a probablement favorisé une densité démographique élevée, un trait caractéristique de ce pays constitué à 90% d’agriculteurs.

L’exploitation céréalière avec bovins associés au XIX siècle

Schématiquement, une famille s’occupe d’un pan de colline. La maison Burundaise appelée rugo en occupe le sommet plat ou une terrasse naturelle à mi pente, qui sont des lieux parmi les plus fertiles. Au pied de ces collines, on trouve des zones plus humides qui ont donné naissance à des marais à Papyrus. Au XIX siècle, les cultures effectuées autour du Rugo sur les terres les plus fertiles comprennent en première partie de saison des pluies une association de Haricot et de Maïs. S’en suivait une culture de Sorgho, céréale domestiquée en Afrique et dont les semailles étaient traditionnellement annoncées au Burundi par les tambours du Roi. Ramenée par les portugais des Amériques sur la côte Africaine et adoptée un siècle plus tard par les fermiers Burundais, l’association Haricot/Maïs est d’une efficacité redoutable puisque la légumineuse, en fixant l’azote de l’air fertilise le sol en éléments azotés au bénéfice du Maïs qui sert en retour de support à sa compagne la plante grimpante. L’introduction de ce système au XVIII siècle a provoqué une véritable révolution agricole qui a permis de multiplier par deux le nombre de bouches qu’une famille pouvait nourrir.

Association Maïs/Haricot

Le reste des terres était laissées en pâturages aux bovins Ankolé aux gigantesques cornes, issus d’un croisement pluri-millénaires fait au Burundi. Essentielles à la restauration de la fertilité, les bouses de ces ruminants parqués la nuit autour du Rugo permettaient un transfert latéral de fertilité des zones de pâturages vers les zones de cultures, évitant ainsi d’épuiser les sols soumis à une intense cultivation.

Bovins Ankolé du Burundi

La véritable richesse à cette époque se mesure donc à son bétail, lui seul pouvant assurer l’abondance des récoltes par son apport d’éléments fertilisants (A ce titre, le terme capital venant du mot latin capitalis signifiant « tête » de bétail prend ici tout son sens). En parlant de richesse, il est intéressant de noter que la distinction être Hutus, censée être une ethnie d’agriculteurs pauvres et les Tutsis de riches éleveurs est très probablement infondée du fait que la gigantesque majorité des Burundais ont été des agriculteurs-éleveurs, comme je l’ai décris plus haut. Si les Hutus étaient effectivement la classe la plus riche, un Tutsi pouvait tout à fait devenir Hutu par ascension sociale. Il n’y avait donc aucune raison génétique à cette distinction, et ce sont les colons Belges qui ont façonnés cette distinction raciale en ethnicisant cette distinction de classe.

Aux joyeux temps des colonies

La croissance rapide de la population à cette époque a pour conséquence l’accroissement des besoins en nourriture. Ainsi le nombre de bovins Ankolé nécessaires et la surface de pâturage nécessaires au bon renouvellement de la fertilité des terres cultivées va croissant également. La crise de surpaturage arrive au début du XX siècle lorsque la limite théorique de densité de population de ce système est atteinte, environ 55 habitants au kilomètre carré. Cette affaiblissement du système provoque des épidémies dans le bétail affaiblis par manque de pâturage et les princes se font la guerre sur les ressources. Un malheur n’arrivant jamais seul, c’est au même moment que le pays est colonisé et que les politiques Belges sont mises en place.

« Si ces fainéants de Burundais souffrent de la disette, c’est qu’ils ne travaillent pas assez ». Le gouvernement Belge va donc mettre « au travail » des paysans déjà fragilisés par une attention de tous les instants pour assurer la survie de la cellule familiale. L’idéologie du progrès et de la civilisation fait son office et le travail est rendu obligatoire sur des routes, des fossés anti-érosifs à l’utilité douteuse et des cultures forcées. Enfin, un impôt de capitation est mis en place. Celui-ci contraignait ainsi les paysans à cultiver sur leurs terres du café, la seule culture de rente pouvant fournir l’argent de cet impôt. Technique administrative machiavélique, puisque dans le fond le colon récupérait le café et l’argent du café. Qui a dit qu’on ne pouvait pas avoir le beurre et l’argent du beurre? Aujourd’hui, la logique d’exploitation par l’endettement envers les pays du Nord n’est pas si différente pour forcer des populations à produire des cultures d’exportation. Celles-ci étant les seules capables de fournir des devises capables de rembourser la dette, elles sont le centre de toutes les attentions au détriment de toutes les autres. Ce qui est gagné par la vente du café par exemple est récupéré par le remboursement de la dette. Appelé cela du néo-colonialisme serait tout à fait déplacé bien sur…

Y’a bon café du Burundi

Durant la domination belge, alors que la quantité de bovins diminue et que les transferts de fertilité sont de plus en plus précaires, l’administration chargée du développement du café impose un paillage systématique des caféiers. Tout fermier est alors exposé à une amende s’il ne le pratique pas. Le mulch n’est pas condamnable d’un point de vue agronomique mais en détournant de force encore plus de matière organique et de fertilité des cultures vivrières ils pénalisaient la sécurité alimentaire des habitants. L’ignorance a été criminelle. Travaux forcés, impôts multipliés par dix, détournement de la fertilité pour le café ont détourné une quantité de ressources incroyables, qui auraient pu leur servir à résoudre les causes de la crise. La conséquence logique a été l’enchainement de disettes et de famines, dont la dernière en 1944 fera 200 000 morts.

Fort de cet héritage et une fois l’indépendance acquise, les ONG étrangères et les instituts techniques Burundais focalisés sur le café – en continuant à n’avoir aucune vision globale – n’auront pas d’autres messages que d’essayer d’imposer aux agriculteurs, fortement réticents, le même paillage du café.

Le règne secret du bananier

Dans les années 60, malgré une croissance démographique repartie de plus belle, le Burundi est auto-suffisant suite à de remarquables progrès agronomiques. Fruits de pratiques paysannes et de l’intensification du travail, les collines du Burundi se sont couvertes de cultures impliquant des associations très complexes. Le manioc, apporté par le colonisateur est une calorie cultivable toute l’année, les semis du Sorgho se font sur le maïs en maturation, les bas-fond, anciennement marais de papyrus, sont progressivement aménagés avec de l’huile de coude. En saison des pluies, on creuse des diguettes pour cultiver du Riz, et pendant la saison sèche, on surélève des planches de cultures. La quantité de terre déplacée est impressionnante! Les bovins Ankolés disparaissent petit à petit du paysage au profit des cultures qui sont faites sur des pentes parfois à 100%! Ce génie agricole est d’autant plus impressionnant que l’outillage est rudimentaire et ne consiste bien souvent que d’une grande houe et d’une machette. Pas de fertilisants chimiques, ni pesticides. Rien ne vient appuyer l’effort incroyable de ce peuple de jardiniers.

Un seul outil rudimentaire : La grande Houe

Par des décennies de labour descendant (de haut en bas), le paysage s’est transformé petit à petit et des terrasses ont surgis des flancs de collines où l’on cultive en continue Maïs, Sorgho, Riz, Blé, Eleusine, Haricots de toutes sortes, Arachide, Pois Cajan, Patate douce, Manioc, Pomme de terre, Taro, Igname, Bananiers, Manguiers, Avocatiers, Citronniers, Goyaviers, Courges et de nombreuses essences d’arbres.

Terrasses « radicales » du Burundi – FAO

Mais comment ces agriculteurs ont-ils pu intensifier un tel système alors que le bétail et la fertilité était vacillante? La véritable révolution du système qui a bluffé tous les pronostiques catastrophiques que l’on prévoyait pour le Burundi s’est développé autour du Rugo. En effet, l’habitation est aujourd’hui entourée d’une grande bananeraie. Petit à petit, pour compenser la perte de la fertilité amené par les Ankolés, les Burundais ont plantés des bananiers autour de leur habitation. De cette culture, on tire la fameuse bière de banane qui est essentielle pour la survie alimentaire du pays. Cette bière ne prélève du bananier que le sucre, l’eau et les vitamines. Tout les minéraux sont ensuite retournés directement au sol de la bananeraie. Ainsi, à la manière de la terra preta se crée un Anthrosol, c’est à dire une terre façonnée par l’homme, qui s’enrichit année après année tout en nourrissant les estomacs.

Fabrication de la bière de banane artisanale (photo:Sandra)

Toutefois, cette banane n’a toujours pas la côte pour les institutions du fait que la bière est responsable de l’alcoolisme et que les agriculteurs privilégieraient les bananiers au café. Ah, ces imbéciles de nègres! Ainsi les instituts techniques continuent à forcer les agriculteurs à faire des transferts de fertilité de la bananeraie jusque sur les parcelles de caféiers.

Écoutons les paysans

Rugo et bananeraie – H.Cochet

Le couple Rugo/bananeraie est aujourd’hui incontournable dans le paysage agraire Burundais. En terme de richesse, le capital a changé de forme. Si le bétail, en ce qu’il était indispensable pour la reproduction de la fertilité, formait l’ancienne richesse, aujourd’hui elle se mesure à la surface de sa bananeraie. Celle-ci ayant ainsi pris la place du cheptel en tant que capital d’exploitation et moteur de la reproduction de la fertilité. Le langage se fait aussi le témoin d’un tel glissement

– Quelle vache ne me fait pas mal au dos?

– Mon bananier

Devinette Burundaise

Le Burundi est pour moi une mythologie agricole. Celle de ce pays lointain que je ne verrais probablement jamais mais qui abrite ces paysans ingénieux luttant pour éviter la précarité matérielle. Mélangeant les plantes sur leurs parcelles comme un peintre mélangerait les couleurs sur la toile, ils ont trouvés des solutions innovantes collectivement. Ils m’ont aussi appris qu’il fallait écouter les paysans et les soutenir dans leurs orientations et non pas tenter de leur imposer ce que la technique annonce comme étant forcément un progrès.

L’évolution du Burundi se poursuit encore et toujours et les fermiers cultivent de plus en plus leur café dans des conditions d’agroforesterie afin de remplacer la nécessité du paillage. De même, l’introduction de haricots intercalaires entre les plants de café répond de la même logique d’intensification des cultures. IL s’agit à mes yeux d’un exemple typique de ce que l’on pourrait entendre par une agriculture écologiquement intensive. L’horizon est donc aux innovations, mais la culture du bananier, le pivot centrale du système, est insuffisamment protégée et la bananeraie peu étudiée par les chercheurs. Espérons que les maladies repérées plus au Nord ne viendront pas créer une véritable catastrophe humanitaire.

Ce pays est aussi une leçon intéressante pour la suite des évènements. Le Burundi est un pays qui a du faire avec peu de pétrole pour assurer sa subsistance. Un Burundais moyen consomme 100 fois moins de pétrole qu’un français et 200 fois moins qu’un Américain. Il est probable qu’un pays comme le Burundi, aussi peu « intégré » à l’économie mondiale soit finalement très peu touché par la fin du pétrole et s’en trouve même paradoxalement dans une meilleure situation. Loin d’idéaliser le Burundi où l’espérance de vie n’est que de 50 ans et où les problèmes sanitaires sont très élevés, ce pays est une source d’inspiration par son modèle paysan d’agriculture, peut-être un des plus soutenables de la planète.

Enfin je voudrais remercier tout particulièrement mon ancien professeur Hubert Cochet qui est l’essentielle source d’inspiration de cet article. J’aimerais le remercier pour sa passion à défendre par la raison la logique de l’agriculture paysanne et d’avoir pris le temps de comprendre ceux que l’on n’écoute habituellement pas.

Pour plus d’informations sur l’agriculture du Burundi je vous conseille cet article en ligne ou si vous souhaitez aller plus loin, acheter cet excellent ouvrage.

13 Commentaires

Classé dans Agriculture, Economie, Histoire

13 réponses à “Les incroyables jardiniers des collines du Burundi

  1. jousseaume

    il existe une solution facilement intégrable(compte tenu du niveau technique local) technique manuelle, pour augmenter encore la rentabilité du travail des jardiniers du burundi ( qui s’inscrirait dans la dynamique : travailler moins pour vivre mieux)

  2. jousseaume

    question subsidiaire

    les jardiniers du burundis pratiquent -ils une forme d’apiculture?
    si oui, je serais très interessée par en connaitre les conditions et le matériel utilisé
    ( ruche kenyanne ou autre)

  3. jousseaume

    quand je dis qu’il existe un outil
    je ne parle pas seulement de la TDC technique de conservation ou du SD semis direct
    mais d’un outil au sens matériel du terme qui peut remplacer la houe et provoquer un gain de temps et d’énergie permettant de pratiquer la TDC avec encore plus de bénéfices pour les gens et pour la planète.

  4. JF BOITARD

    Merci de toute cette documentation, je suis touché par tout celà! j’imagine passer quelques semaines « en touriste » dans ce pays, tout en étant agriculteur en France! (du moins en l’ayant été!)
    Jean François

    • karmai

      Quelle chance! C’est un rêve que j’ai, de pouvoir y aller un jour.

      Si ce pays est à la hauteur de ce que j’en pense, surtout si vous avez été agriculteur, vous en reviendrez ravis.

      N’hésitez pas à revenir ici me donner un petit mot sur ce que vous en aurez pensé. Je suis aussi intéressé par de belles photos que vous prendriez sur votre chemin.

      Bon Voyage

      Karmai

  5. Livia Alessandrini

    Bonjours,
    magnifique article, je suis très intéressée par ce blog et j’aimerais, si possible en recevoir regulièrement les parutions, ou bien m’y inscrire directement
    Merci infiniment
    Livia

    • karmai

      Bonjour Livia,

      Merci beaucoup pour le compliment. Cet article doit beaucoup a un de mes ex-professeurs, Hubert Cochet, qui a travaillé longtemps au Burundi. Je tiens a partager ce compliment avec lui 🙂

      Pour garder le contact avec mon blog je ne vois que deux possibilités:

      1 – L’inscrire dans tes marques-pages pour y revenir de temps en temps

      2 – T’inscrire sur le flux RSS (le petit icône Orange en face de l’adresse) ou cliquer ici pour s’abonner https://jardinons.wordpress.com/feed/

      Merci et a bientôt

      Karmai

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  7. Bravo pour cet article passionant!
    Je ne connais pas l’Afrique équatoriale et ce récit donne vraiment l’envie de m’intéresser à ce petit pays.
    J’aime beaucoup quand tu dis « Ils m’ont aussi appris qu’il fallait écouter les paysans et les soutenir dans leures orientations et non pas tenter de leur imposer ce que la technique annonce comme étant forcément un progrès. ». C’est d’ailleurs ce qu’on observe aujourd’hui en france avec le développement du semis direct sous couvert et aussi dans une moindre mesure avec le BRF!
    Bonne continuation!
    Gilles

  8. vous ecrivez et parlez sur l’economie du burundi au moment où vos pays avancent en economie par ailleurs vos predecesseurs qui ont introduit ce capitalisme au Burundi par traveau forcé disant solution à nos problemes sont parti sans solution.Pourquoi ne pas nous apporter vos techonologies avancées pour appuyer positivement nos efforts…?Nous avons de la force pour tavailler assez et nous en sommes capable.Recompassez nous de ces moment d’exploitation pour vos interets……

    • karmai

      Je ne suis pas personnellement responsable de la colonisation, ni du travail forcé, ni de l’introduction du capitalisme et je n’ai pas l’impression d’avoir bénéficié de l’exploitation du Burundi. Je suis un partisan des technologies libres (avancées ou non) et si je disposais sur le champ du partage des technologies le moindre pouvoir, je ne m’opposerais en rien à leur partage à l’échelle du monde.

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