« Nous devrions être les jardiniers de cette planète »

topor-la-grosse-tete-1970.jpgComment trouver sa place sur cette planète? Au delà de la question individuelle, comment fait-on pour que tout le monde puisse vivre dessus?

Jardiner… A première vue difficile de concevoir comment deux carottes et trois artichauts pourraient résoudre une si complexe mission. Ma réflexion ne va pas forcement s’attacher à l’aspect technique du jardinage, bien qu’à l’occasion cela pourra m’arriver, mais bien plus aux valeurs qui sous-tendent de nombreuses pratiques jardinées dans le monde, au sens propre et figuré. Loin de rester terre à terre, ce drôle de voyage mélangera philosophie, économie et agronomie.

Quoi de plus normal de commencer ce travail d’enquête avec celui dont les paroles sont la source du titre de cette page oueb. Voici un enregistrement d’une interview de Cornelius Castoriadis, philosophe et psychanalyste français. Dans ce passage il défend une idée politique qui lui est chère, présentée plus en détail dans son livre La montée de l’insignifiance, à savoir qu’une société vraiment libre est une société autonome qui doit savoir s’autolimiter”.

A travers le discours de Casto (pour les intimes) on peut voir que jardiner va bien au delà du simple acte horticole et s’entend comme une manière de se présenter au monde, presque de l’écologie politique. C’est une occasion de repenser notre rapport au monde, et en premier lieu par rapport au capitalisme, qu’il a critiqué toute sa vie : “Aujourd’hui on est entré dans une époque d’illimitation dans tous les domaines et c’est en ça que nous avons le désir d’infini […] Et la société capitaliste aujourd’hui est une société qui à mes yeux court à l’abîme à tous points de vue car c’est une société qui ne sait pas s’autolimiter”. D’autre part, jardiner le monde est un appel à ne pas se rendre “possesseur de la nature”, comme l’a défendu Descartes, mais au contraire de “la cultiver comme elle est et pour elle-même, et trouver notre vie, notre place relativement à cela.” Dès lors, l’homme et sa boulimie de désir n’est plus la mesure absolue de l’humanité mais ce sont les caractéristiques de notre planète qui nous donne la mesure de notre place. Le jardin est alors le symbole d’une action mesurée, en accord avec la nature et où l’homme se sent heureux. Je chercherais bien sur à présenter dans les mois qui vont venir les potentialités concrètes d’un tel jardin.

A travers ses idées sur l’auto-limitation en regard des limites de notre planète, il est naturel qu’il soit un inspirateur majeur de la décroissance en France aujourd’hui. Dans ce court passage, il laisse entrevoir le projet politique autour de la volonté de “jardiner la planète”. En effet :

“cela pourrait absorber une grande partie des loisirs des gens, libérés d’un travail stupide, productif, répétitif, etc… Or cela, évidemment, c’est très loin non seulement du système actuel mais de l’imagination dominante actuelle. L’imaginaire de notre époque, c’est l’imaginaire de l’expansion illimitée, c’est l’accumulation de la camelote… une télé dans chaque chambre, un micro-ordinateur dans chaque chambre, c’est ça qu’il faut détruire. Le système s’appuie sur cet imaginaire qui est là et qui fonctionne.”

L’imaginaire du systeme économique actuel et sa déconstruction est une idée qui a beaucoup inspiré un économiste “décroissant”, Serge Latouche, qui développe dans son livre Décoloniser l’imaginaire, l’idée selon laquelle les concepts économiques actuels ne sont en aucun cas des horizons indépassables ou des réalités en soi, mais bien plus des créations sur lesquelles l’on fait coller le réel. A titre d’exemple, en économie, la théorie de l’équilibre général qui inspire les politiques libérales actuelles, est basée sur des hypothèses résumables sous l’idée d’”une concurrence pure et parfaite”, supposées amener si elles sont toutes réalisées “un état dans lequel on ne peut pas améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre” (équilibre dit de Pareto). Or dans la pratique, toutes ces hypothèses nécessaires ne sont jamais réalisées, cela n’a pas empêché les législateurs du monde entier d’essayer de faire coller le réel aux hypothèses de ce modèle théorique, en supposant qu’une fois réalisées, on atteindrait le fameux équilibre. La plupart des pays pauvres retiennent encore de nos jours leur souffle en attendant le résultat de ce pari insensé.

Il est temps de reprendre pied sur des valeurs plus concrètes, plus proches d’un monde réel, qui est celui où 20% de la population s’octroit 80% des ressources. Cette remise en cause de ce que Castoriadis appelle “l’insignifiance” de notre époque (relativisme, consumérisme, productivisme…) est une occasion de penser notre bonheur sur terre comme un objectif que l’on doit se réapproprier. A ce titre, l’oeuvre eudémoniste, athée et matérialiste de Michel Onfray est une véritable bouffée d’oxygène que je ne manquerais pas de présenter plus tard. De la même manière qu’il est possible de le comprendre derrière le mythe du jardin d’Eden une voie eudémoniste, Onfray réhabilite Epicure, et cette idée qu’en l’absence d’un paradis transcendant, il faut réaliser celui-ci lors de notre vie sur Terre.

J’espere pouvoir vous montrer dans les mois à venir l’étendue des possibilités qui peuvent naître dans la perspective de jardiner la planète.

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