L’agroforesterie: Pour que les hommes et la nature vivent en paix

Des articles précédents ont déjà défrichés ce sujet. Tout d’abord, nous avons aborder le fait que les civilisations du passé se sont souvent battis en opposition à la foret, dans une dialectique nature/culture, sauvage/civilisé, etc. Cette idéologie, aboutissant souvent au déclin civilisationnel, comme par exemple sur l’île de pâques, ou en Amérique centrale avec la civilisation Maya ou bien encore durant le moyen age en Europe nous montre le besoin de créer des modes de vies soutenables. Loin de promouvoir un modèle qui s’inspirerait de nos ancêtres d’avant l’invention de l’agriculture, il est toutefois possible de s’en inspirer et de tendre vers des pratiques agricoles en accord avec les principes qui sous-tendent toutes les formes de vies, comme l’agriculture naturelle par exemple. Le cas qui nous intéresse ici, est celui de l’agroforesterie, dont les principes généraux ont déjà été présentés. Cet article est donc la suite logique du précédent article histoire de rentrer dans le détails de quelques exemples qui ont déjà fait leur preuves.

Le sahel et le Faidherbia Albida

Aux portes du plus grand désert du monde, se tasse peut-être la plus grande précarité du monde, celle de peuples aux aboies des premières gouttes d’une courte saison des pluies, celle d’une terre fragile qui doit lutter contre les assauts des dunes de sables. Extrême au nord et tolérable au sud, le précarité des précipitations conditionnent largement les possibilités agricoles. Avec le déclin du régime des pluies, l’accroissement de la population, les frictions avec les éleveurs et les agriculteurs sont nombreuses. Les premiers revenant de plus en plus tôt du nord où ils sont allés chercher du fourrage afin de consommer les résidus suite à la récolte et les deuxième devant lutter contre ces estomacs affamés alors que les grain de Sorgho et de mil murissent encore sur leurs tiges, le nez au soleil.

gousses-faidherbia-albidaLes gousses de Faidherbia Albida servent de fourrage

Importé du système Sereer, région au peuple éponyme située directement à l’ouest de Dakar au Sénégal, existe la possibilité d’un système agro-forestier basé sur un arbre, le Faidherbia Albida (ou Acacia Albida). Celui-ci s’enracine profondément, résistant bien à la sécheresse, il perd ses feuilles lors de la saison des pluies lorsque les agriculteurs souhaitent y réaliser leurs cultures amenant à la fois matière organique au sol et favorisant l’ensoleillement des cultures, produit des gousses qui font un bon fourrage et enfin, comme toute légumineuse, fixe l’azote de l’air dans le sol, permettant ainsi une fertilisation naturelle en élément azotés. Cet arbre a permis d’améliorer la situation des agriculteur et des éleveurs, particulièrement dans la zone sahelo-soudanienne du Burkina Faso et du Niger.

parc-forestier-karite-et-faidherbia-albida-au-mali1Parc agroforestier de Karité (1er plan) et de Faidherbia Albida – Mali

On trouvera plus d’information dans ce livre le « Sahels: diversités et dynamiques des relations sociétés-nature » de Claude Reynaut disponible en ligne, notamment sur les parcs arborés à partir de la page 217.

Streuobst: l’agroforesterie à l’Allemande

En milieu tempéré, le système agroforestier traditionnel le plus important se nomme Streuobst. On trouve ce mode de production agroforestier extensif issue du XVII siecle dans une grande partie de l’Europe centrale: Allemagne en particulier, mais aussi Pologne, Suisse et Roumanie. Tout d’abord plantés pour revitaliser les campagnes dépeuplées par la guerre de 30 ans de 1618-1648, les plantations d’arbres à fruits prirent petit à petit de l’ampleur jusqu’au XVIII siecle ou l’empereur Frederik II ordonna que des coopératives fruitières soient installés dans chaque village afin que les arbres envahissent les jardins, les rues et les alentours. Le surplus dégagés permettant de plus de fournir les villes en fruits.

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Streuobst – Salzburg

Beaucoup de villages créèrent des variétés robustes adaptées à leur terroir et les terres communales était des lieux d’expérimentation particulièrement privilégiés. Lorsque la production fruitière s’annonçait mauvaise pour un parasite ou une gelée quelconque, on installait potagers et cultures à leur pieds.

Particulièrement présent en Allemagne, en 1934 ils représentaient 83% de tous les arbres fruitiers du pays. Malgré un déclin de ce mode de production tout au long du XX siècle au profit de verger intensifs, les Streuobst produisait en 1995 toujours plus de la moitié de la production de pommes nationale, soit environ 1 millions de tonnes. La moitié de cette production est essentiellement tourné vers l’auto-consommation des communautés avoisinantes.

Malgré son déclin au cours du XX siecle, les Streuobst jouissent d’un regain d’intérêt de part leur forte implantation socio-culturelle, leur grande diversité en terme de variétés végétale et tout simplement par leur beauté. En effet, les vergers conduit de manière « industrielle » en rang et taillés en « nain » dispose d’un attrait esthétique très faible.

Toutefois, du point de vue réducteur de la production, les Streuobst ne sont pas viables économiquement donné le contexte actuel et la lutte à la productivité. Toutefois, en terme de soutenabilité, c’est à dire conciliant économie, social et environnementale, le bilan est plutôt bon. L’orientation de cette pratique vers les filières de produits de qualité et biologiques sont donc des débouchés qui sont aujourd’hui promus par les défenseurs de ces systèmes.

Cacaoyer et déforestation

Dernier exemple, et pas des moindres, pour expliquer la nécessité écologique des systèmes agro-forestiers dans certaines situations. L’économie du cacaoyer remonte à bien longtemps. Probablement domestiqué dans le bassin de lOrénoque en Amérique du Sud, le cacaoyer est surtout associer aux Azteques (xocoatl), de l’Amérique centrale qui introduisirent pour la première fois ce gout nouveau dans les palais européens, qu’ils soient faits de chair ou de marbre.

cacao-aztequeStatuette Aztèque – Homme portant une cabosse de Cacao

Rapidement, les terres immenses pris aux peuples amérindiens vont servir à l’économie agro-exportatrice coloniale européenne. La culture du cacao, dans certaines régions particulierement propices comme la côte caraibe du Venezuela, mais aussi l’île d’Hispaniola (futur Haïti et République dominicaine) et la côte équatorienne, s’installa aisément en prospera. La monoculture après défrichage d’un pan de foret avec la main d’oeuvre esclaves noirs assura de belles années à l’oligarchie de Caracas. A la fin du XIX siecle, le Brésil était rentré dans la partie et défrichait également des pans de foret entiers afin de devenir le premier exportateur de cacao. Puis dans les années 20, progressivement, sans que rien ne semble pouvoir arrêter ce déclin, le Ghana puis la côte d’Ivoire vécurent à leur tour un véritable boum du Cacao.

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Cacao en côte d’Ivoire – D’après Luc Gnago

La culture du cacao est à l’image de notre gourmandise déraisonnable pour le chocolat, elle est gloutonne. La logique de la culture du cacao est celle d’un front pionnier. Pour réaliser une plantation de cacao, il faut défricher un pan de foret entier, le bruler, puis installer sa plantation qui bénéficie alors de la fertilité accumulée dans les cendres et de l’absence de pathogènes. Exigeante en main d’œuvre, de nombreux bras se précipitent devant cet or noir qui pousse sur les flancs des arbres. Mais bien vite, les travailleurs lorgnent avec envie les horizons lointains d’un pan de foret non défriché qui leur permettraient de cultiver à leur compte. Ces nouveaux cultivateurs indépendants font alors appel eux aussi à de la main d’œuvre, etc. Le phénomène s’accélère et la déforestation prend alors une allure exponentielle. Il arrive alors logiquement, comme toute croissance infinie dans un monde aux ressources finies, que la source de foret à défricher intéressante pour la culture du cacao soit épuisée. Dès lors, c’est tout le système qui rentre en crise car il n’est plus possible d’aller voir plus loin pour bénéficier de la rente différentielle forêt qui rendait la culture si productive. Toute tentative de replanter une plantation sur une ancienne est vouée soit à l’échec ou à la misère de son exploitant, car ni la fertilité, ni l’absence de pathogène ne peuvent plus être assurées.

Depuis les premiers moments de l’exploitation à grande échelle du cacao, au XVIIe, la logique du cacao à été de dévorer des forets tropicales et de migrer de régions en régions. Dés qu’une d’entre elles rentre en crise, les plantations migrent jusqu’à une autre. Le front de déforestation est ainsi passé des Amériques jusqu’en Afrique. Mais aujourd’hui, même le Cacao africain est en crise et les récents événements politiques en Côte d’Ivoire n’y sont pas du tout étranger. Ce que l’on observe c’est une troisième migration de la culture du Cacao, de l’Afrique équatoriale aux forets décimées vers l’Indonésie qui dispose encore d’un vivier important de foret tropicale à défricher.

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Déplacement du front pionnier du cacaoyer

J’espère que vous trouverez toujours autant de plaisir à l’amertume du cacao en croquant dans un morceau de foret à chaque fois que vous vous délecterez d’une fantaisie chocolatière…Toutefois, nous ne sommes pas là pour nous lamenter sur cette boulimie, mais bien pour comprendre en quoi l’agroforesterie est une alternative intéressante à ce cycle infernal.

Sans conteste, les travaux de l’agroforesterie en milieu tropical sont les plus fournis. Notamment parce que certaines matières premières agricoles majeures comme le cacao, le thé et le café poussent naturellement mieux sous ombrage (auto-écologie) et que donc les systèmes de production vont très souvent reproduire cette ombre en y intégrant au minimum une légère couverture arborée. L’image de garde de ce site, photo prise au Bangladesh dans une plantation de thé plantée de Grevillea Robusta le montre bien.

L’agroforesterie du cacaoyer est donc une affaire agronomique entendue. Facilement documentée, on la trouve déclinée dans tout un tas de formes, chacune s’adaptant au mieux aux conditions locales de cultures et aux besoins des habitants. Le graphique suivant montre une succession culturale générique.

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Exemple de succession écologique centrée sur le cacao – FIBL

Du fait des nombreuses espèces toujours présentes, un revenu minimal est toujours assuré, et l’effondrement du prix d’une matière première pourra toujours être compensée par les bonnes ventes d’une autre culture. C’est une forme de sécurité qui aurait permis à la côte d’Ivoire d’éviter la crise politique et sociale de ces dernières années. Le cacao en crise, c’est tous les travailleurs Burkinabe, Maliens et autres, qui sont initialement venus à la demande des grands besoins en main d’œuvre du cacao sur le front pionnier, qui sont aujourd’hui montrés du doigt comme des étrangers venus voler les ivoiriens. C’est au nom de cette xénophobe ivoirité, idée sous-jacente millénaire qui fait toujours porter la cause des problèmes sur l’autre, l’étranger, le bouc émissaire à portée de main. Le massacre de Yopougon est là pour rappeler le devoir d’apprendre de l’Histoire.

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Charnier de Yopougon – Octobre 2000 – Reuters

Au nord de l’ile de Sulawesi, en Indonésie, là où le front pionnier du cacao a fraichement débarqué d’Afrique, la possibilité d’une alternative doit être défendue afin d’éviter la même menace de déforestation menant presque immanquablement à des crises sociales. Quelques agriculteurs, souvent avec une forte implantation culturelle et territoriale, donc avec une logique à plus long terme, réalisent naturellement des systemes agroforestiers en incluant simplement la cacao dans les forets déjà plantées par leur ainés. En effet, le système traditionnel agroforestier de cette région était basé sur le clous de girofle. L’état indonésien ponctionnant sous forme de divers prélèvements (impôts, prélèvements et corruption) cette culture maintenait ainsi cette activité en état de précarité, ce qui a favorisé le développement rapide du cacao comme alternative très rentable. En effet, cette filière récente n’était pas encore tombée dans les mains des gouvernants. La crise asiatique de 97-98, avec la forte dévaluation des monnaies a également permis une très forte augmentation des revenus des cultures d’exportation, amplifiant la recherche rapide de profit par des plantations de cacao avec défrichement et logique de front pionnier.

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Crise Asiatique – Dévaluation de la Roupie Indonésienne

La création des conditions de possibilités devrait être une urgence pour les institutions, en favorisant les comportements à long terme, en diffusant les techniques de l’agroforesterie, en adaptant la politique foncière, en stimulant les approches agroécologique, notamment en cherchant au maximum des certifications biologiques et autres débouchés écologiquement responsables. De même, dans ces terres lointaines où nous n’avons heureusement pas le droit de vote, la consommation au nord de produits biologiques est un geste essentiel pour ceux qui ne peuvent éviter de le consommer et dont l’état des finances le permette.

Conclusion

A travers cet article, j’espère vous avoir montrer la diversité des situations où les pratiques agroforestières trouvent leur place voir leur indispensable nécessité. Loin d’être une solution miracle qu’il faudrait appliquer universellement sans distinction, il est certain que l’arbre retrouvera dans les années à venir une place historique qu’on a eu tendance à mépriser ces dernières années, pleines de machines agricoles, d’énergies fossiles et de monocultures. De part sa longévité, l’arbre est l’école de la sagesse et de la pensée non égoïste, tournée vers les autres et surtout vers l’avenir.

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Hundertwasser

5 Commentaires

Classé dans Agriculture, Economie, Politique

5 réponses à “L’agroforesterie: Pour que les hommes et la nature vivent en paix

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  4. Chloé D.

    Bonjour,
    Merci pour votre article !
    Pourriez vous me donner le lien vers la description des cultures en succession écologique centrée sur le cacao ?

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